Il y a bien des
siècles, dans un endroit de la province dEchigo, appelé
Mastuyama, vivaient deux jeunes époux dont on ne sait plus le
nom. Ils avaient une petite fille.
Lhomme appartenait à la classe des Samouraïs ; mais
il avait peu de fortune et vivait très simplement sur un petit
bien dont il dirigeait lui-même la culture. La femme avait les
mêmes habitudes de simplicité ; dans tout ce qui lentourait,
on neut pas découvert un seul objet de luxe. Elle était,
de plus, fort timide, si bien que, parmi des personnes étrangères,
elle navait pas dautre désir que de passer inaperçue.
Un jour, le mari
dut aller à Yeddo. Il y avait un nouveau souverain, et le seigneur
dEchigo se rendait à la capitale pour ly saluer.
Le jeune homme faisait partie de la suite de ce personnage.
Son absence ne fut pas longue. Heureux de quitter les splendeurs de
la cour pour la vie modeste et familière quil aimait, il
revint à Matsuyama dès que le seigneur dEchigo le
lui permit. Il rapportait de la capitale quelques présents pour
sa femme et pour sa fille : lenfant eut une poupée, des
friandises ; la mère eut un miroir de bronze argenté.
Cet objet parut à la jeune femme une chose tout à fait
merveilleuse, car cétait le premier quon eut apporté
à Matsuyama. Elle nen comprenait pas lusage, et elle
demanda naïvement quel était ce joli visage souriant que
lon y voyait. Cest quelle ne connaissait point sa
propre figure, ne layant jamais vue bien reflétée
dans une surface claire et polie.
Le mari, dans ses voyages, avait plus dune fois vu des miroirs,
bien que lusage en fût peu répandu. Il se mit à
rire.
Eh quoi ! lui dit-il, es-tu assez sotte pour ignorer que ce charmant
visage est le tien ? Tu aurais pu le deviner.
Honteuse de son
ignorance, elle nosa pas faire dautres questions, elle mit
de côté le miroir, pensant toujours que cétait
un objet bien mystérieux. Elle ne compris quune chose :
cest que son image y apparaissait.
Pendant de longues années, elle le tint soigneusement caché.
Pourquoi ? On ne le sait pas au juste. Peut-être tout simplement,
parce que la moindre bagatelle, quand cest un présent de
lamour, devient quelque chose de sacré. Alors, à
certains jours, on le regarde avec tendresse ; mais on hésite
à le montrer à dautres personnes, qui ne pourraient
pas le voir avec les mêmes yeux.
Cette femme avait
une santé chétive : elle mourut jeune encore.
Pendant sa dernière maladie, lorsquelle se sentit tout
près de sa fin, elle prit le cher miroir et le donna à
sa fille en lui disant :
Après ma mort, il faudra le regarder matin et soir, et
tu my verras. Nest pas trop de chagrin.
Puis elle mourut.
À partir
de ce moment, la jeune fille ne manqua point de regarder, soir et matin,
dans le miroir. Aussi naïve que sa mère, à qui elle
ressemblait beaucoup dâme et de visage, elle ne sut point
quelle y voyait, non pas les traits de sa mère, mais les
siens. Elle parlait à cette image, persuadée dans son
cur quelle se rencontrait ainsi avec sa mère ; et
rien ne lui était aussi précieux que son miroir.
À la fin, son père saperçut que, tous les
jours, elle regardait le miroir et même lui parlait. Il lui en
demanda le motif.
Je regarde ma mère, répondit la jeune fille. Elle
nest plus pâle et fatiguée comme pendant sa dernière
maladie ; elle paraît encore toute jeune. Il mest bien doux
de la retrouver ainsi et de mentretenir avec elle.
Alors, ému dune tendre pitié, le père sentit
ses yeux se remplir de larmes ; et, sans détromper son enfant,
il lui dit :
Oui, tu la retrouves là, comme je la retrouve en toi.