La Reine des poissons
Conte de la province du Valois
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Il y avait dans la province du Valois, au milieu des bois de Villers-Cotterêts, un petit garçon et une petite fille qui se rencontraient de temps en temps sur les bords des petites rivières du pays, lun obligé par un bûcheron nommé Tord-Chêne, qui était son oncle, à aller ramasser du bois mort, lautre envoyée par ses parents pour saisir de petites anguilles que la baisse des eaux permet dentrevoir dans la vase en certaines saisons. Elle devait encore, faute de mieux, atteindre entre les pierres les écrevisses, très nombreuses dans quelques endroits. Mais la pauvre petite fille, toujours courbée et les pieds dans leau, était si compatissante pour les souffrances des animaux, que, le plus souvent, voyant les contorsions des poissons quelle tirait de la rivière, elle les y remettait et ne rapportait guère que les écrevisses, qui souvent lui pinçaient les doigts jusquau sang, et pour lesquelles elle devenait alors moins indulgente. Le petit garçon, de son côté, faisant des fagots de bois mort et des bottes de bruyère, se voyait souvent exposé aux reproches de Tord-Chêne, soit parce quil nen avait pas assez rapporté, soit parce quil était trop occupé à causer avec la petite pêcheuse. Il y avait un certain jour dans la semaine où les deux enfants ne se rencontraient jamais Quel était ce jour ? Le même sans doute où la fée Mélusine se changeait en poisson, et où les princesses de lEdda se transformaient en cygnes. Le lendemain dun
de ces jours-là, le petit bûcheron dit à la pêcheuse
: " Te souviens-tu quhier je tai vu passer là-bas
dans les eaux de Challepont avec tous les poissons qui te faisaient
cortège
jusquaux carpes et aux brochets ; et tu étais
toi-même un beau poisson rouge avec les côtés tous
ruisselants décailles dor. En ce moment, lentretien
fut interrompu par lapparition de Tord-Chêne, qui frappa
le petit avec un gros gourdin, en lui reprochant de navoir pas
seulement lié encore un fagot. Les menaces que Tord-Chêne avaient faites dans son ivresse ne tardèrent pas à saccomplir. La petite fille se trouva prise sous la forme de poisson rouge, que le destin lobligeait à prendre à de certains jours. Heureusement, lorsque Tord-Chêne voulut, en se faisant aider de son neveu, tirer de leau la nasse dosier, ce dernier reconnut le poisson rouge à écailles dor quil avait vu en rêve, comme étant la transformation accidentelle de la petite pêcheuse. Il osa la défendre contre Tord-Chêne et le frappa même de sa galoche. Ce dernier, furieux, le prit par les cheveux, cherchant à le renverser ; mais il sétonna de trouver une grande résistance : cest que lenfant tenait ses pieds à la terre avec tant de force, que son oncle ne pouvait venir à bout de le renverser ou de lemporter, et le faisait en vain virer dans tous les sens. Au moment où la résistance de lenfant allait se trouver vaincue, les arbres de la forêt frémir dun bruit sourd, les branches agitées laissèrent siffler les vents, et la tempête fit reculer Tord-Chêne, qui se retira dans sa cabane de bûcheron. Il en sortit bientôt menaçant, terrible et transfiguré comme un fils dOdin ; dans sa main brillait cette hache scandinave qui menace les arbres, pareille au marteau de Thor brisant les rochers. Le jeune roi des forêts, victime de Tord-Chêne son oncle, usurpateur , savait déjà quel était son rang quon voulait lui cacher. Les arbres le protégeaient, mais seulement par leur masse et leur résistance passive En vain les broussailles et les surgeons sentrelaçaient de tous côtés pour arrêter les pas de Tord-Chêne, celui-ci a appelé ses bûcherons et se trace un chemin à travers ces obstacles. Déjà plusieurs arbres, autrefois sacrés du temps des vieux druides, sont tombés sous les haches et les cognées. Heureusement, la Reine des poissons navait pas perdu de temps. Elle était allée se jeter aux pieds de la Marne, de lOise et de lAisne, les trois grandes rivières voisines, leur représentant que si lon narrêtait pas les projets de Tord-Chêne et de ses compagnons, les forêts trop éclaircies narrêteraient plus les vapeurs qui produisent les pluies et qui fournissent leau aux ruisseaux, aux rivières et aux étangs ; que les sources elles-mêmes seraient taries et ne feraient plus jaillir leau nécessaire à alimenter les rivières ; sans compter que tous les poissons se verraient détruits en peu de temps, ainsi que les bêtes sauvages et les oiseaux. Les trois grandes rivières prirent là-dessus de tels arrangements que le sol où Tord-Chêne, avec ses terribles bûcherons, travaillait à la destruction des arbres sans toutefois avoir pu atteindre encore le Prince des forêts , fût entièrement noyé par une immense inondation, qui ne se retira quaprès la destruction entière des agresseurs. Ce fut alors que le Roi des forêts et la Reine des poissons purent de nouveau reprendre leurs innocents entretiens. Ce nétaient plus un petit bûcheron et une petite pêcheuse, mais un Sylphe et un Ondine, lesquels, plus tard, furent unis légitimement. Nous nous arrêtons dans ces citations si incomplètes, si difficiles à faire comprendre sans la musique et sans la poésie des lieux et des hasards, qui font qui font que tel ou tel de ces chants populaires se grave ineffablement dans lesprit. Ici ce sont des compagnons qui passent avec leurs longs bâtons ornés de rubans ; là des mariniers qui descendent un fleuve ; des buveurs dautrefois (ceux daujourdhui ne chantent plus guère), des lavandières, des faneuses, qui jettent au vent quelques lambeaux des chants de leurs aïeules. Malheureusement on les entend répéter plus souvent aujourdhui les romances à la mode, platement spirituelles, ou même franchement incolores, variées sur trois à quatre thèmes éternels. Il serait à désirer que de bons poètes modernes missent à profit linspiration naïve de nos pères, et nous rendissent, comme lon fait les poètes dautres pays, une foule de petits chefs-duvre qui se perdent de jour en jour avec la mémoire et la vie des bonnes gens du temps passé. |