Patte de Coq
Conte de l'Aude
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Il y a longtemps,
longtemps, bien avant que vous et moi ne fussions nés, vivaient
à Montjardin, Prés de Chalabre, un ménage de paysans
avec leur fille, Lavallière. " Patte de
coq, patte de coq, et aussitôt
deux farfadets viendront à ton service. |
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Lavallière
se sentait triste et désolée. Mais la tante était
dure. Elle ne laissa pas à lorpheline le temps de penser
à son chagrin. " Ma nièce sera pour moi, pensait-elle,
une servante que je naurais pas à payer. " " Patte de
coq, patte de coq, Et aussitôt
Flic et Floc apparurent. Ils firent trois sauts, éclatèrent
de rire, et se mirent au travail. En un quart dheure tout fut
fait. Ils refirent trois sauts, éclatèrent de rire, saluèrent
et disparurent. |
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Cependant
Lavallière avait grandi ; elle était devenue si jolie, si
jolie que tout le monde sarrêtait pour la regarder. Et Benoîte,
sa cousine, à côté delle, paraissait laide avec
ses yeux pointus et son gros nez pendant.
Vous pensez si la tante était jalouse ! Elle se disait : " Tant que cette maudite Lavallière sera là, jamais ma fille ne trouvera mari. " Elle nosait pas la renvoyer parce que tout Chalabre aurait été contre elle ; elle réfléchit, et enfin, un jour, elle dit à sa fille et à sa nièce : " Nous irons demain à notre maison de la forêt. " Elle avait en effet une petite maison à la lisière de la forêt de Puivert. On lavait abandonnée depuis longtemps par peur dune méchante sorcière qui habitait non loin de là, et dévorait tous ceux qui saventuraient un peu trop près de sa cabane. Nous irons demain, entends-tu, Lavallière ? Comme vous voudrez, ma tante. |
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Elles
y arrivèrent dans laprès-midi. Lavallière dut
tout nettoyer et tout mettre en ordre, tandis que sa tante et Benoîte,
sa cousine, se promenaient dans le jardin.
Le soir venu, la tante sécria : " Nous navons ni lumière pour la nuit, ni feu pour le souper. Lavallière ira dans la forêt demander du feu et de la lumière à la première maison quelle trouvera. Comme vous voudrez ma tante. |
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Et voilà la pauvre Lavallière toute seule dans la forêt. Il faisait déjà sombre ; elle avait peur ; quand elle fut assez loin, elle toucha la patte de coq dans sa ceinture et dit les paroles convenues : " Patte de
coq, patte de coq, Et aussitôt
les bons farfadets apparurent, firent trois sauts et se mirent à
danser devant la jeune fille. |
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" Patte de
coq, patte de coq, Et Flic et Floc
se mirent à louvrage : Il y avait fort à faire !
Tout était sale et poussiéreux. Las farfadets travaillèrent,
comme jamais ils navaient travaillé. Au bout dune
heure, ce fut fini. Plus un grain de poussière dans la cabane,
plus une toile daraignée. Tout était propre et le
souper mijotait dans un grand pot. Alors Flic et Floc sen allèrent
après avoir fait leurs trois sauts et leur gentille révérence. " Patte de
coq, patte de coq, et aussitôt,
deux farfadets viennent à mon service. " Patte de
coq, patte de coq, Deux chiens bondirent
et la mordirent aux jambes, tandis que la patte de coq, échappée
de ses mains, sautait sur son visage et lui enfonçait son ergot
dans le cou. " Patte de
coq, patte de coq, Aussitôt les
chiens disparurent, et furent remplacés par des farfadets qui
firent trois sauts éclatèrent de rire et dansèrent
autour de la vieille furieuse. |
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Et Lavallière
revint à la lisière du bois où sa tante fut étonnée
de la revoir. " Patte de
coq, patte de coq, Flic et Floc apparurent,
firent trois sauts, éclatèrent de rire et soufflèrent
sur les flammes qui, de plus en plus violentes, consumèrent en
quelques instants linsipide Benoîte et sa méchante
mère. |
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Or,
en chemin, ils rencontrèrent le fils du Roi avec ses hommes darmes.
Quelle est cette jolie fille ? fit demander le fils du Roi. Cette jolie fille, répondirent les farfadets, fuit le monde et veut vivre tranquille. Je la veux ! Prenez-la de gré ou de force et emmenez-la moi ! Lavallière entendit ces paroles ; elle dit : Quel est cet insolent qui veut me prendre de force ? Cest un fils de Roi, dirent les farfadets. Il croit que tout lui est permis, parce que, devant lui, des tas dimbéciles se sont humiliés. Jaimerais mieux mourir que dêtre à son service ! dit Lavallière. Et les farfadets se mirent à courir. Et la troupe du Roi poursuivit létrange petit carrosse, le brave petit carrosse, qui, par monts et vallées, fuyait pour rester libre. Le fils du Roi était furieux quune fille ait osé résister à un de ses caprices. Il injuriait ses gens darmes, et labourait de ses éperons les flancs de son cheval. Au galop ! au galop ! Mais Flic et Floc couraient plus vite. De temps en temps ils disaient à Lavallière : Maîtresse, tournez-vous, et dites-nous sils se rapprochent. Et Lavallière répondait : Ils sont en haut de la colline. Courez, mes bons amis, courez toujours. Les voyez-vous encore, demandaient les farfadets. Je ne vois plus quune poussière là-bas, à lhorizon |
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Ils
étaient maintenant sur le bord de la mer. En hâte, avec des
branches de pin entrelacées, Flic et Floc construisirent un radeau,
y posèrent la jeune fille, et lamenèrent en nageant,
jusquà une île toute proche, qui nétait
quun ensemble de rochers que la mer avait déchiquetés.
Jeune fille et farfadets se blottirent dans une anfractuosité. Et de là bien cachés, ils virent sans être vus, le fils du Roi avec sa troupe, arriver sur la plage, et ny trouver quun tout petit carrosse vide. Elle sest noyée avec ses farfadets, dirent les hommes darmes. Et le fils du Roi, furieux de sa course inutile et de sa déconvenue fit décapiter sur lheure trois ou quatre paysans qui avaient le tord de se trouver par là. Lavallière resta dans cette île déserte. Elle obéissait à la maxime des farfadets : " Il vaut mieux être seul quavec des méchants et des sots ". Elle y vécut longtemps, longtemps. Un jour, elle mourut. De tristesse, les farfadets aussi moururent. Et lîle senfonça presque tout entière dans la mer. Il nen resta que quelques pointes qui émergent et sappellent encore les Roches de Lavallière. Elles sont en face de la plage de Saint-Pierre où viennent se baigner les gens de Salles et de Fleury. Allez-y un soir au clair de lune. Vers la minuit, vous y verrez passer des ombres : cest Lavallière et ses farfadets. |