Le
Maître Chat Conte
de Ma Mère l'Oye Illustration par Gustave Doré |
Un
meunier ne laissa pour tous biens à trois enfants qu'il avait, que
son Moulin, son ne et son Chat. Les partages furent bientôt faits,
ni le Notaire, ni le Procureur n'y furent point appelés. Ils auraient
eu bientôt mangé tout le pauvre patrimoine. L'aîné
eut le Moulin, le second eut l'Âne, et le plus jeune n'eut que le
Chat. Ce dernier ne pouvait se consoler d'avoir un si pauvre lot : Mes frères, disait-il, pourront gagner leur vie honnêtement en se mettant ensemble ; quant à moi, lorsque j'aurai mangé mon chat, et que je me serai fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim. Le Chat qui entendait ce discours, mais qui n'en fit pas semblant, lui dit d'un air posé et sérieux : Ne vous affligez point, mon maître, vous n'avez qu'à me donner un Sac, et me faire faire une paire de Bottes pour aller dans les broussailles, et vous verrez que vous n'êtes pas si mal partagé que vous croyez. |
Quoique le Maître du chat n'y croyait guère, il lui avait vu faire tant de tours de souplesse, pour prendre des Rats et des Souris, comme quand il se pendait par les pieds, ou qu'il se cachait dans la farine pour faire le mort, qu'il ne désespéra pas d'en être secouru dans sa misère. Lorsque le Chat eut ce qu'il avait demandé, il se botta bravement et, mettant son sac à son cou, il en prit les cordons avec ses deux pattes de devant, et s'en alla dans une garenne où il y avait grand nombre de lapins. Il mit du son et des lasserons dans son sac, et s'étendant comme s'il eût été mort, il attendit que quelque jeune lapin peu instruit encore des ruses de ce monde, vint se fourrer dans son sac pour manger ce qu'il y avait mis. À peine fut-il couché, qu'il eut satisfaction; un jeune étourdi de lapin entra dans son sac, et le maître chat tirant aussitôt les cordons le prit et le tua sans miséricorde. |
Tout glorieux de sa
proie, il s'en alla chez le Roi et demanda à lui parler. On le
fit monter à l'Appartement de sa Majesté où, étant
entré il fit une grande révérence au roi, et lui
dit : Une autre fois, il alla se cacher dans du blé, tenant toujours son sac ouvert ; et lorsque deux Perdrix y furent entrées, il tira les cordons, et les prit toutes deux. Il alla ensuite les présenter au Roi, comme il avait fait avec le Lapin de Garenne. Le Roi reçut encore avec plaisir les deux Perdrix, et lui fit donner à boire. Le Chat continua ainsi pendant deux ou trois mois à porter de temps en temps au roi du Gibier de la |
chasse de son Maître. Un jour qu'il sut
que le Roi devait aller à la promenade sur le bord de la rivière
avec sa fille, la plus belle Princesse du monde, il dit à son Maître
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le Chat s'approcha du carrosse, et dit au Roi que dans le temps que son Maître se baignait, il était venu des Voleurs qui avaient emporté ses habits, quoiqu'il eût crié au voleur de toutes ses forces; le drôle les avait cachés sous une grosse pierre. Le Roi ordonna aussitôt aux Officiers de sa Garde-robe d'aller chercher un de ses plus beaux habits pour Monsieur le Marquis de Carabas. Le Roi lui fit mille caresses, et comme les beaux habits qu'on venait de lui donner relevaient sa bonne mine (car il était beau, et bien fait de sa personne), la fille du Roi le trouva fort à son gré, et le Marquis de Carabas ne lui eut pas jeté deux ou trois regards fort respectueux, et un peu tendres, qu'elle en devint amoureuse à la folie. Le Roi voulut qu'il montât dans son carrosse, et qu'il fût de la promenade. Le Chat ravi de voir que son dessein |
commençait
à réussir, prit les devants, et ayant rencontré des
Paysans qui fauchaient un Pré, il leur dit : Le Maître Chat,
qui allait toujours devant, rencontra des Moissonneurs, et leur dit :
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ne dites que tout
ce blé appartient à Monsieur le Marquis de Carabas, vous
serez tous hachés menu comme chair à pâté. Le Chat, qui allait devant le Carrosse, disait toujours la même chose à tous ceux qu'il rencontrait ; et le Roi était étonné des grands biens de Monsieur le Marquis de Carabas. Le Maître Chat arriva enfin dans un beau Château dont le Maître était un Ogre, le plus riche qu'on ait jamais vu, car toutes les terres par où le Roi avait passé étaient sous la dépendance de ce Château. Le Chat, qui eut soin de s'informer qui était cet Ogre, et ce qu'il savait faire, demanda à lui parler, disant |
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qu'il
n'avait pas voulu passer si près de son Château, sans avoir
l'honneur de lui faire la révérence. L'Ogre le reçut
aussi civilement que le peut un Ogre, et le fit reposer. On m'a assuré, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toutes sortes d'Animaux, que vous pouviez, par exemple, vous transformer en Lion, en Éléphant ? Cela est vrai, répondit l'Ogre brusquement, et pour vous le montrer, vous allez me voir devenir Lion. Le Chat fut si effrayé de voir un Lion devant lui, qu'il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, car ses bottes ne valaient rien pour marcher sur les tuiles. Quelque temps après le Chat, ayant vu que l'Ogre avait quitté sa première forme, descendit, et avoua qu'il avait eu bien peur. On m'a assuré encore, dit le chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des |
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plus petits Animaux,
par exemple, de vous changer en un Rat, en une Souris ; je vous avoue
que je tiens cela tout à fait impossible. Cependant le Roi,
qui vit en passant le beau Château de l'Ogre, voulut y entrer. Le
Chat, qui entendit le bruit du Carrosse qui passait sur le pont-levis,
courut au-devant, et dit au Roi : |
Le Marquis donna la
main à la jeune Princesse, et suivant le Roi qui montait le premier,
ils entrèrent dans une grande Salle où ils trouvèrent
une magnifique collation que l'Ogre avait fait préparer pour ses
amis qui devaient venir le voir ce même jour, mais qui n'avaient
pas osé entrer, sachant que le Roi y était. Le Roi, charmé
des bonnes qualités de Monsieur le Marquis de Carabas, de même
que sa fille qui en était folle, et voyant les grands biens qu'il
possédait, lui dit, après avoir bu cinq ou six coupes : Le marquis, faisant de grandes révérences, accepta l'honneur que lui faisait le Roi ; et le même jour épousa la Princesse. Le Chat devint grand Seigneur, et ne courut plus après les souris que pour se divertir. |
MORALITÉ Quelque grand que
soit lavantage AUTRE MORALITÉ Si le fils dun
meunier, avec tant de vitesse, |
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